Travailler avec des indépendents/freelancers : les choses à faire et à éviter

Dans la pratique quotidienne, les entreprises actives dans les secteurs de la construction et du transport font appel à des « freelancers » (prestataires de services indépendants) pour assurer le transport des éléments de stands jusqu’aux lieux d’événements, et pour l’assemblage et démontage des structures sur site. En tant que donneur d’ordre, vous déterminez la nature de la relation de travail : choisissez-vous de recourir à des salariés (contrat de travail) ou à des « freelancers » ? Il est toutefois essentiel que la réalité des faits concorde avec la qualification retenue. Dans le cas contraire, il existe un risque de requalification du contrat de prestation de services indépendants en contrat de travail. Par ailleurs, des règles particulières d’ordre parafiscal s’appliquent.

Cette newsletter vous propose d’examiner quelles sont les règles applicables, en analysant également les règles spécifiques en matière de sécurité sociale applicables dans le secteur du transport.

Comment évaluer la relation de travail ?

Sur le plan droit du travail

Il existe une loi (Loi-programme du 27 décembre 2006, article 333) qui définit un cadre permettant d’apprécier si une relation de travail est une relation salariée ou indépendante. Cette loi établit des critères généraux et permet d’envisager, selon une procédure particulière, des critères spécifiques applicables à un secteur, à une ou plusieurs professions ou à des catégories de professions. Elle institue également un régime de présomption de contrat de travail pour certains secteurs économiques.

Les critères généraux permettant d’apprécier l’existence ou l’absence du lien d’autorité dans le cadre de l’existence d’un contrat de travail sont :

  • La volonté des parties : Ce critère donne la primauté à la qualification choisie par les parties. Il importe que l’ensemble des clauses de la convention reflète précisément la qualification choisie. À défaut d’un document écrit, l’intention des parties sera évaluée sur la base des autres critères.
  • La liberté d’organisation du temps de travail : Contrairement aux travailleurs salariés, l’indépendant gère lui-même ses horaires. Si cette autonomie n’est pas effective – par exemple en cas d’imposition d’horaires fixes, d’obligations de pointage ou de restrictions sur les périodes de congés – le risque de requalification en travailleur salarié est réel. Néanmoins, des accords sur les heures de travail peuvent être nécessaires dans un cadre de coopération, sans que cela n’entraîne un lien d’autorité. 
  • La liberté d’organisation du travail : L’indépendant détermine lui-même l’organisation de sa mission, fournit son propre matériel, et peut recourir à des remplaçants ou employer du personnel, tout en ayant la possibilité de travailler pour plusieurs clients. Même si des échanges sur l’exécution de la mission sont possibles, ils doivent rester des orientations générales sans compromettre son indépendance.
  • Lien de subordination : Le lien de subordination entre l’employeur et le travailleur salarié se caractérise par l’autorité hiérarchique de l’employeur qui dicte les modalités d’exécution, contrôle et sanctions applicables au salarié. En revanche, pour un travailleur indépendant, le donneur d’ordre se limite à des directives générales économiques et à l’évaluation postérieure des résultats, sans exercer de contrôle hiérarchique ni imposer de sanctions disciplinaires.

A ce jour, aucuns critères spécifiques n’ont été établi.

La loi (article 337/2) prévoit toutefois une présomption de contrat de travail pour certains secteurs, dont les secteurs du transport et de la construction. Dans ces cas, jusqu’à preuve du contraire, la relation de travail est présumée s’exécuter dans les liens d’un contrat de travail si plus de la moitié des 9 critères suivants sont remplis (donc au moins 5 critères sur 9) :

  1. défaut, dans le chef de l’exécutant des travaux, d’un quelconque risque financier ou économique, comme c’est notamment le cas :
    1. à défaut d’investissement personnel et substantiel dans l’entreprise avec du capital propre;
    1. ou à défaut de participation personnelle et substantielle dans les gains et les pertes de l’entreprise;
  2. défaut, dans le chef de l’exécutant des travaux, de responsabilité et de pouvoir de décision concernant les moyens financiers de l’entreprise;
  3. défaut, dans le chef de l’exécutant des travaux, de tout pouvoir de décision concernant la politique d’achat de l’entreprise;
  4. défaut, dans le chef de l’exécutant des travaux, de pouvoir de décision concernant la politique des prix de l’entreprise, sauf si les prix sont légalement fixés;
  5. défaut d’une obligation de résultat concernant le travail convenu;
  6. la garantie du paiement d’une indemnité fixe, quels que soient les résultats de l’entreprise ou le volume des prestations fournies dans le chef de l’exécutant des travaux;
  7. ne pas être soi-même l’employeur de personnel recruté personnellement et librement ou ne pas avoir la possibilité d’engager du personnel ou de se faire remplacer pour l’exécution du travail convenu;
  8. ne pas apparaître comme une entreprise vis-à-vis d’autres personnes ou de son cocontractant ou travailler principalement ou habituellement pour un seul cocontractant;
  9. travailler dans des locaux dont on n’est pas le propriétaire ou le locataire ou avec du matériel mis à sa disposition, financé ou garanti par le co-contractant. Ces critères, établis tant sur le plan général que, dans certains secteurs, par des critères spécifiques (élaborés par arrêté royal), permettent de vérifier si la qualification contractuelle retenue reflète la réalité de l’exécution. 

Sur le plan de la sécurité sociale – les dispositions spécifiques applicables au secteur du transport

Indépendamment de la forme du contrat, l’article 3, 5° bis de l’Arrêté royal du 28 novembre 1969 étend le régime de sécurité sociale des salariés aux personnes effectuant des transports de personnes ou fournissant des services liés aux transports, à condition d’utiliser des véhicules dont l’exploitant assure la propriété ou le financement. Autrement dit, même si leur contrat ne présente pas les caractéristiques d’un contrat de travail, ces travailleurs indépendants dans le secteur du transport, opérant dans des conditions analogues à un contrat de travail, seront soumis au régime de sécurité sociale des travailleurs salariés.

En d’autres termes, une relation de travail considérée comme indépendante sur le plan du droit du travail peut entraîner un assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés si les conditions précitées sont réunies.

Concrètement, l’application de la Loi O.N.S.S. est étendue :

  • aux personnes qui effectuent des transports de choses qui leur sont commandés par une entreprise, au moyen de véhicules
  • dont ils ne sont pas propriétaires,
  • ou dont l’achat est financé ou le financement est garanti par l’exploitant de cette entreprise,
  • ainsi qu’à cet exploitant.

Le transport est défini comme l’opération consistant à déplacer une personne ou une chose, cette obligation devant être principale dans l’accord. Il englobe, par exemple, le déplacement d’un véhicule en panne ou mal garé (y compris les opérations de chargement et déchargement directement liés à l’exécution du transport), sans exiger que cette activité soit exclusive ou principale, mais qu’elle présente une continuité. La qualification de transport ne dépend ni du volume des marchandises ni du lieu (voie publique, propriété, chantier).

Afin que l’extension s’applique, il faut que ce soit l’entreprise qui confie la mission, sans exiger que le transport constitue son objet exclusif ou principal. La mission peut être attribuée par une ou plusieurs entreprises.

Les transporteurs remplissant les conditions requises sont réputés effectuer des prestations de travail contre rémunération sous l’autorité d’un tiers, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un lien de subordination effectif ou que le transport soit précisément imposé par l’entrepreneur.

L’extension ne s’applique pas lorsque le chauffeur est un réel associé actif (par exemple, gérant détenant la majorité des parts ou exerçant des activités relevant de l’objet social de la société).

Comment s’articulent les dispositions propres au droit du travail et à la sécurité sociale ?

En cas de litige entre une entreprise et un travailleur freelance (et/ou l’ONSS), le juge devra d’abord vérifier si la présomption d’existence d’un contrat de travail propre au secteur du transport ne s’applique pas (examen sur le plan du droit du travail). Si tel est le cas, le travailleur sera assujetti au régime des travailleurs salariés en raison même de l’existence d’un contrat de travail.

Si le juge estime toutefois qu’il n’existe pas de contrat de travail sur le plan du droit du travail, il devra néanmoins vérifier si les conditions d’application de la présomption d’assujettissement spécifique au régime de sécurité sociale s’appliquent.

Dans ce cas, la relation restera une relation de travail indépendante sur le plan du droit du travail mais le régime de sécurité sociale des travailleurs salariés sera néanmoins d’application.

Quelles conséquences en cas de requalification ?

Sur le plan du droit du travail

Le faux indépendant pourra réclamer paiement de certains éléments de rémunération auxquels il aurait pu prétendre s’il avait été considéré comme salarié (tels que la prime de fin d’année, les pécules de vacances, l’indexation de sa rémunération, une indemnité compensatoire de préavis (sous déduction de l’indemnité qui lui a été payée comme indépendant, etc.).

Sur le plan de la sécurité sociale

  • Requalification en rémunération : les sommes versées au travailleur (seront considérées comme de la rémunération et l’ONSS pourra réclamer des cotisations sociales patronales (environ 27 %) et personnelles (13,07 %).
  • Majoration et intérêts : application d’une majoration forfaitaire de 10 % ainsi que d’intérêts de retard de 7 % par an. 

Sur le plan fiscal

  • Absence de retenue de l’impôt des personnes physiques : le donneur d’ordre n’ayant pas prélevé de précompte professionnel, il devra, en principe, régulariser la situation en versant le montant dû à l’administration fiscale, ainsi que d’éventuelles pénalités ou intérêts. 

Recommandations

À faire (Do’s)

  • Etablir un écrit en précisant clairement le statut d’indépendant. Il peut être envisagé de recourir à un contrat-cadre entre le donneur d’ordre et le freelance, auquel s’ajouterait une annexe propre à chaque mission (dans laquelle pourront être précisées les modalités et accords spécifiques à la tâche confiée). 
  • Préciser les modalités de paiement : délai de paiement, intérêts en cas de retard, et juridiction compétente. 
  • Déterminer un tarif journalier ou horaire convenu entre les parties. 
  • Veiller à une cohérence entre la qualification et les modalités d’exécution : évitez de traiter les indépendants de la même façon que les travailleurs salariés. Respectez la liberté d’organisation du temps de travail (en termes d’horaires, congés, absences, etc.) ainsi que celle du travail en tant que tel.

À éviter (Don’ts)

  • Utiliser des termes propres au du statut de travailleur (ex. : « congés payés », « planning de travail », « temps plein/temps partiel »). 
  • Fournir du matériel propre au freelance (/!\ cf. la présomption spécifique en matière de sécurité sociale) sauf si cela est indispensable pour des raisons techniques ou de sécurité. 
  • Décrire de manière trop détaillée les tâches : il convient de mentionner les objectifs principaux ou la nature des services à fournir, afin de permettre au freelance d’organiser lui-même son travail.

Conclusion

La gestion d’une relation avec un prestataire indépendant nécessite une attention particulière quant à la qualification juridique de la relation de travail. Une rédaction contractuelle précise et conforme aux critères établis par la législation et la jurisprudence est essentielle afin de limiter les risques de requalification et les conséquences financières et pénales susceptibles d’en découler. Nous vous invitons à examiner minutieusement chaque situation pour vous assurer que le statut d’indépendant est justifié tant sur le plan légal et contractuel que dans l’exécution effective de la mission.

Pour plus d’informations, contactez les auteurs : Emmanuel Plasschaert (Partner); Evelien Jamaels (Partner); Sofiane Fergali (Associate)